
Suite au rachat de Corsair par un consortium d'entrepreneurs guadeloupéens avec l'aide de l'Etat et des collectivités territoriales des Outre-mer, beaucoup s'interrogent sur le bien-fondé du concours des subventions publiques... qui plus est, les compagnies aériennes donnent une image d'entreprises suffisamment solides pour ne pas avoir à faire appel aux deniers publics...
Pourtant, ne devrions-nous pas cesser de voir ces compagnies comme de simples transporteurs mais plutôt comme des outils au service du développement économique, social et territorial des Outre-mer ?
Les compagnies aériennes sont des accélérateurs de développement économique
Le transport aérien, qu'il soit régulier ou non, de personnes et de marchandises, est une activité mondiale qui pèse lourd.
En 2019, le transport aérien mondial générait 838 milliards de dollars de chiffre d'affaires pour 4,5 milliards de passagers transportés, un trafic en hausse de 4,2% en moyenne par rapport à 2018. Selon l'IATA, ce trafic a chuté de 60% en 2020 engendrant 118 milliards de dollars de perte de chiffre d'affaires en raison de la pandémie pour n'atteindre que 1,8 milliards de passagers transportés, soit une régression au niveau de trafic de 2003... Selon le cabinet de conseils Archery Strategy Consulting (ASC) : les compagnies aériennes du monde entier pourraient mettre, selon le scénario le plus optimiste, au moins trois ans pour retrouver leur niveau d’activité de 2019, et dix pour reprendre leur trajectoire de croissance d’avant la crise.
Malgré une forte croissance stoppée en plein vol, les compagnies aériennes demeurent des accélérateurs de développement économique. Une étude de l'OACI (Organisation de l'Aviation Civile Internationale) a montré la corrélation positive entre le nombre de passagers transportés et la hausse du PIB. Cet organe de l'ONU estime, par exemple, que la croissance annuelle de trafic régulier sur l'axe Afrique - Moyen Orient devrait atteindre 9,9% en nombre de passagers transportés, soit le taux le plus élevé du monde (hors contexte COVID et ramener au dynamisme de cette zone d'exploitation aérienne d'alors).
Chez nous, des lignes comme Pointe-à-Pitre <> Fort-de-France enregistrent les flux les plus importants du bassin intra caribéen avec près de 600 000 passagers transportés par an. Cette ligne est considérée comme primordiale par de nombreux chefs d'entreprise qui souhaitent effectuer leurs déplacements dans la journée. Le même constat peut être fait sur la liaison reliant Pointe-à-Pitre à Saint-Martin Grand-Case, avec 250 000 passagers transportés par an, où là encore, "un pont aérien inter-iles" permet à de nombreuses entreprises et à leurs salariés de conclure des affaires, d'assurer un rendez-vous, de résoudre une difficulté dans une même journée.
Le secteur aérien génère des activités économiques connexes, porteuses d’images fortes pour leurs destinations.
A Saint-François, des entrepreneurs adeptes de sensations fortes, proposent des activités de parachutisme, de baptême de l'air, d'ULM et d'autogire sur un aérodrome pourtant délaissé, le faisant ainsi revivre à travers une offre nouvelle et audacieuse attirant de nombreux visiteurs et restaurateurs.
Une étude menée par les économistes Yves Cozet et Paul Chiambaretto montre qu'une augmentation de 10% du transport aérien entraînerait une hausse de 0,1 à 0,5% du PIB. Le transport aérien est un outil indispensable d'acheminement rapide de passagers locaux mais aussi de fret et de touristes. Rappelons-le, l'activité touristique de la Guadeloupe (hors COVID) pèse près de 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires dans l'économie locale et génère 12 000 emplois directs et indirects et représente 10% du PIB local. Le transport aérien est indissociable de l'activité touristique. Il favorise l'implantation de projets structurants, permettant par exemple à des enseignes telles Accor de revenir en Guadeloupe, à des compagnies mondiales telles que Norwegian, Level ou Air Belgium à s'essayer à notre destination et attirer ainsi de nouveaux flux de visiteurs internationaux faisant passer notre archipel sur le podium des destinations les plus visitées pendant les dernières vacances 'd’hiver'. Avec 40 000 visiteurs accueillis dans les îles de Guadeloupe durant cette période pour un panier moyen de 1 050€ par visiteur hors billet d'avion, c'est 42 millions d'euros de chiffre d'affaires insufflés dans l'économie guadeloupéenne. Une manne en ces temps de crise sanitaire dont les conséquences sociales sont décuplées dans nos petites économies insulaires.
Un outil de promotion sociale et culturelle
Dans les Outre-mer, quel autre mode de transport utiliser que l'aérien pour réunir rapidement des familles souvent éclatées sur la métropole et d'autres territoires ultramarins ?
46% du trafic est affinitaire sur les liaisons aériennes entre les Départements d'Outre-mer et la métropole.
Une capacité qui garantit des taux de remplissage confortables pour les compagnies aériennes.
Maintenir les liens familiaux, assurer des compétitions sportives ou festives, accompagner un enfant dans la poursuite de ses études, célébrer un mariage, une naissance, assister à des funérailles... bref, le transport aérien n'est pas un mode de transport comme les autres pour les ressortissants des outre-mer dont les liens avec la métropole sont constants. L'avion est l’équivalent de la voiture ou du train pour les européens continentaux.
En outre, la compétitivité entre les compagnies aériennes a pour corollaire la baisse des tarifs et permet à une part plus large de la population de voyager. L'avion est un formidable outil d'ouverture au monde, à d'autres cultures et civilisations que les tours opérateurs et voyagistes s’empressent de packager pour inciter toutes les franges de la population à découvrir d'autres horizons.
Les aides telles celles de LADOM accompagnent dans leurs projets professionnels, les personnes aux revenus modestes. Malgré la crise sanitaire actuelle, le transport aérien fait toujours rêver. D’ailleurs, chacune des compagnies aériennes des Outre-mer emploie des milliers d'ultramarins qui sont formés régulièrement aux dispositifs de sécurité et de sûreté de leur métier en constante mutation. Une étude de l'ACI Europe a modélisé un ratio entre le trafic passagers et l'impact direct en termes de nombre d'emplois et montre qu’un million de passagers sur un aéroport générerait en moyenne 4000 emplois totaux associés au transport aérien...
C'est dire l'impact social de l'activité aérienne en Guadeloupe qui traite près de 2,5 millions de passagers annuels (hors COVID). Illustration concrète, le lycée de Blanchet à Gourbeyre a bien perçu ce devenir puisqu'il a ouvert une série de spécialisations aux métiers de l'aéronautique qui connait un franc succès auprès de la communauté estudiantine. De quoi présager un secteur d'emploi productif pour une main d'œuvre fortement qualifiée pouvant exercer dans le monde entier.
Un levier d'attractivité territoriale
Les enjeux du transport aérien sont très importants pour un territoire.
L'aéroport Guadeloupe Pôle Caraïbe (SAGPC) l'a très bien compris en se positionnant comme un accompagnateur indispensable au développement du transport aérien vers la Guadeloupe. Avec un trafic en hausse de 20% sur la plateforme guadeloupéenne entre 2015 et 2018, le pôle de direction de l'aéroport a lancé un vaste programme d'investissement pour accompagner le développement croissant du transport aérien sur notre territoire. Après la réalisation d'une aérogare dédiée au trafic régional, la SAGPC planifie d'importants travaux de redimensionnement de l'aérogare internationale. Conçu à l'origine pour traiter 1,9 millions de passagers par an, il en accueille aujourd'hui près de 2,5 millions. Un concours d'architecture a été lancé et confortera cette nouvelle aérogare dans sa position de leader des aéroports des Outre-mer.
En conséquence, le transport aérien est un outil indispensable pour assurer la continuité territoriale dans un archipel comme la Guadeloupe, mais aussi comme Mayotte, Tahiti et ses îles, la Nouvelle Calédonie ainsi que des territoires enclavés comme la Guyane.
Pour exemple, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie détient 99% du capital d'Aircalin et celui de Polynésie 84,82% du capital d'Air Tahiti Nui. A la Réunion, la Région et le Département détiennent près de 87% du capital de la compagnie Air Austral à travers une SEM dédiée.
C'est dire si le transport aérien est un enjeu territorial fondamental pour ces territoires éloignés des principaux centres décisionnels administratifs et financiers.
Pour sa part, le Département de Mayotte souffre de ne pas avoir de liaisons aériennes suffisantes pour assurer son désenclavement. Le Directeur de la Chambre de Commerce et d'Industrie de l'île souhaite la "création d'une compagnie aérienne mahoraise". Selon Fatima Souffou, Vice-Présidente du Conseil Départemental de Mayotte, "contribuer à la maîtrise de la desserte aérienne de son territoire c'est contribuer activement à son développement".
Tous ces exemples montrent à quel point le transport aérien est un outil de développement essentiel à la survie des territoires ultramarins.
Ainsi, il paraît pleinement justifié que le transport aérien dans les régions périphériques enclavées soit soutenu par le biais de la subvention publique au titre d'aménagement du territoire et de réduction des inégalités territoriales.
Avec huit compagnies aériennes long-courriers (Air France, La Compagnie, French Bee, Air Caraïbes, Corsair, Air Austral, Aircalin, Air Tahiti Nui) dont cinq des Outre-mer, la France compte le plus grand nombre de compagnies aériennes immatriculées sous son pavillon en Europe. Ne devrions-nous pas alors disposer d'une véritable politique du transport aérien plutôt qu'une vision à très court terme octroyant des aides et prêts au coup par coup sans véritable vision équilibrée du territoire, économiquement soutenable et socialement responsable ? A quand un Office national du transport aérien regroupant l'ensemble des compagnies aériennes françaises pour déterminer et mettre - enfin - en place, une politique d'aménagement du territorial, d'équité sociale et d'équilibre économique entre toutes ces compagnies aériennes ?
Même si les perspectives de croissance du transport aérien post COVID sont réelles, le transport aérien devra relever de nombreux défis avec non seulement une recomposition des flux de passagers et de leur typologie, mais aussi une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux. Des enjeux qui peuvent être particulièrement impactant pour nos régions d'Outre-mer qui risquent de devenir les grandes oubliées des mutations à venir.
Caroline ROMNEY
Cabinet AIGUILLAGE
www.aiguillage.biz